Plus un enfant s’est senti autorisé à exprimer ses émotions, qu’elles ont été prises en compte sans jugement ni rejet, plus l’enfant sera en mesure de les maîtriser et de développer de l’empathie pour les autres. Il lui sera également plus facile d’aider un ami dans un moment de tristesse ou plus tard, son enfant lors d’un accès de colère. Il ne portera pas le poids d’émotions non résolues, restées bloquées dans l’organisme et devenant plus tard des parasites qui explosent de façon inappropriée… En somme, l’accompagnement à la régulation émotionnelle est une composante essentielle de la formation d’un attachement sécure. Cette intégration commence en co-régulation avec un adulte, ce dernier s’adaptant progressivement à l’étape de développement de son enfant :
Les bébés (0-1 an)
Dès les premiers mois de sa vie, le bébé émet des sons (cris, babillages, pleurs), des expressions faciales et des gestes qui reflètent son état interne. Lorsque le parent se met à la portée de son bébé et lui répond de façon sensible, il lui fait ressentir que ses émotions sont comprises et qu’elles sont importantes. Dans les toutes premières interactions parent/bébé, on observe une danse interactive basée sur le “mirroring” : c’est une sorte d’imitation des expressions et de la prosodie du bébé dont le parent modifie certains éléments. Il serait très perturbant pour le bébé que sa détresse soit imitée de façon brute et sans filtre. Il en est de même si le visage du parent demeure impassible, comme on peut le voir dans cette vidéo “L’expérience du visage impassible” conduite par le Dr Ed Tronick :
“Un bébé d’environ un an et sa mère interagissent, le bébé pointe et la maman regarde, elles coordonnent leurs émotions et leurs intentions. Puis, il est demandé à la mère de ne pas répondre au bébé. Le bébé utilise alors toutes ses compétences pour essayer de se reconnecter à sa mère : elle lui sourit, elle montre du doigt, elle lève les deux mains, elle crie d’un air de dire “qu’est-ce qui se passe ici ?”. En simplement deux minutes d’expérimentation, pendant lesquelles le bébé n’obtient pas les réactions de contact habituelles on observe qu’elle réagit avec des émotions négatives, elle se tourne, elle sent de la détresse et elle perd le contrôle de sa posture en raison du stress dont elle fait l’expérience”.
Pour aider le bébé à réguler ses émotions :
- Avec le mirroring, le parent schématise, exagère et ralentit les cris du bébé. Cette coordination, riche et complexe, se met en place naturellement ; parfois, le passé relationnel carencé des parents complique cet accès au mirroring, ils ont alors besoin de soutien dans les interactions avec leur bébé. Dans la séquence vidéo ci-dessus, on voit qu’à partir du moment où la mère ne communique plus avec ses expressions faciales son bébé s’agite, elle utilise toutes ses compétences sociales afin de retrouver le contact. Ses tentatives demeurant sans succès, elle commence à manifester des signes de détresse.
- Ce mirroring s’accompagne bien sûr de paroles apaisantes et d’actions concrètes : si le bébé se met à crier à cause de la température de son bain, on l’ajuste ; s’il est triste de se séparer on l’emmène dire au-revoir par la fenêtre… tout ceci contribue à la co-régulation des émotions et du vécu du bébé.
- Par ailleurs une étude (Musical affect regulation in Infancy, Trehub, 2015) suggère que des bébés de 6 à 9 mois régulent mieux et plus durablement leurs émotions lorsqu’ils écoutent des enregistrements de chansons rythmées plutôt qu’en co-régulation avec un adulte qui lui parle. Pour les bébés de 10 mois, la mère aide mieux son enfant à se réguler quand elle chante en comparaison avec des mots parlés.
Les tout-petits (1-3 ans)
Dans la continuité de son développement, le tout petit a toujours besoin d’un adulte bienveillant et affectueux pour réguler ses émotions. Du fait de l’immaturité de son cerveau, la tristesse, la colère, la frustration, la déception peuvent être vécues de façon très intense pour un petit enfant et se traduire par de véritables tempêtes émotionnelles.
Pour aider le tout-petit à réguler ses émotions :
- Nommer les émotions : de cette façon, le petit enfant intègre que ce qui le traverse est un phénomène normal, cela porte un nom et cela lui permet de progressivement identifier ses émotions et celles des autres. Par exemple, “Tu es fâchée de devoir rentrer à la maison, tu t’amusais tellement bien au square”, “Tu essaies de mettre la clef dans la serrure mais c’est très difficile, c’est vraiment frustrant”, “A ton avis, pourquoi il a l’air si triste ?”… Plus un enfant ressentira qu’il a le droit de ressentir des émotions, plus il aura de facilité à les exprimer d’une façon acceptable en grandissant.
- Éviter de minimiser ou de nier le vécu de l’enfant : des phrases comme “Arrête de pleurer”, “Il ne faut pas être triste” etc. sont à éviter. Vouloir balayer une émotion est une réaction courante ; les tempêtes émotionnelles paraissent souvent disproportionnée aux yeux des parents qui ont alors envie de s’en débarrasser au plus vite. Pour autant, les ignorer ne les fait pas disparaître ! Lorsque les émotions sont trop souvent niées ou minimisées, elles ont tendance à s’exprimer avec davantage de violence (mots, coups) ou à se retourner contre l’enfant par de la tristesse et de la déprime.
- Une fois la connexion émotionnelle établie, rediriger l’enfant vers une stratégie adéquate : un enfant qui ressent de la colère peut être invité par son parent à taper des pieds sur le sol aussi fort que possible, à dessiner sa frustration avec un gros feutre rouge et froisser la feuille. Plutôt que de donner des coups ou casser des objets, lui proposer de tordre une serviette.
Les enfants (3 ans et plus)
A partir de trois ans, les enfants comprennent de mieux en mieux leurs émotions : en général, ils savent différencier la joie, la tristesse, la colère, la peur… La compréhension de ce qui cause les ressentis leur est de plus en plus accessible, ils manifestent davantage de marque d’affection pour leurs proches et les “crises” commencent à s’estomper.
Pour aider un enfant à réguler ses émotions :
Continuer à apprendre à nommer l’émotion – identifier les éléments déclencheurs – se diriger vers une stratégie de régulation :
- utiliser des moyens ludiques qui visent à enrichir son vocabulaire des émotions : supports visuels, jeux, discussions…
- il est primordial d’identifier les éléments déclencheurs lorsque les émotions de l’enfant sont intenses, répétées et qu’elles altèrent la vie de l’enfant et/ou de sa famille.
- une fois que l’émotion a été validée par un adulte, des stratégies de régulation peuvent être utiles (balles anti-stress, activités sensorielles, bain plein de bulles, jeu de réflexion de type casse-tête, activité physique pour relâcher la tension…). Dans les situations identifiées et récurrentes (sources de peur, de colère, de frustration) encourager l’enfant à proposer/ chercher des solutions.
Lorsque les émotions continuent de s’exprimer de façon très intense
Malgré ces efforts, il arrive que les émotions continuent de s’exprimer de façon très intense. Il peut être alors utile de chercher de l’aide. Des motifs sous-jacents et plus complexes peuvent travailler en “sous-marin” sans que l’enfant ne sache vraiment lui-même de quoi il s’agit. Pour les parents aussi, la capacité à contenir les émotions de l’enfant de façon calme et appropriée dépend beaucoup de la qualité des interactions qui a marqué leur enfance : c’est pourquoi il est parfois nécessaire de travailler sur la dynamique familiale et pas seulement sur les stratégies de régulation de l’enfant.
Voir aussi Thérapie de l’enfant et Soutien à la parentalité
Stress, Anxiété : comment aider les enfants à s’apaiser
Laetitia Bluteau | laetitiabluteau.fr