Le besoin de plaire comme réponse de survie

L’histoire personnelle, le style d’attachement et la façon dont on a réagi à un événement traumatique dans le passé vont largement
influencer le type de réaction au stress plus tard dans la vie.

Besoin de plaire survie psy-resilience.com

Les 4F : Fight, Flight, Freeze, Fawn

Ce qu’on appelle “réponse de survie” correspond à l’adaptation du corps à une situation qui comporte un danger. Le système nerveux détecte de façon instantanée et automatique la meilleure option entre ces différentes possibilités physiologiques : on connait bien le trio “Fight, Flight, Freeze” (Combat, Fuite, Immobilisation ou Figement).


Voir à ce sujet : Le Trauma est dans le système nerveux – pas dans l’événement


Une quatrième réponse le complète, “Fawn” qui peut se traduire comme une réponse de Soumission.

Ces trois premières réponses sont mobilisées face à un danger physique (attaque, accident, catastrophe naturelle etc.) mais aussi – et c’est ce qui nous intéresse ici – face à au danger perçu par le petit enfant, que sa figure d’attachement n’est peut-être pas en mesure de répondre de façon adaptée à ses besoins émotionnels. Fawn, la quatrième réponse, est quant à elle purement relationnelle.

Le système nerveux “choisit” sa réponse en fonction de ce qui lui est familier

Une personne qui a grandit dans une famille “sécure”, aura une bonne souplesse par rapport à ces quatre réponses et pourra naviguer facilement de l’une à l’autre, assurant une bonne protection générale de son intégrité physique et psychique face à un danger : l’accès à la réponse de Combat permet de se défendre avec la mobilisation d’une agressivité saine – et transitoire ; la Fuite sera utilisée dans le cas où la confrontation ne ferait qu’aggraver le danger et qu’il vaut mieux se désengager ; et puis le Figement, qui conduit à ne pas réagir dans une situation “sans solution”. Enfin, la réponse de Flatterie génère un besoin d’entrer dans un espace de compromis, d’écoute, d’aide et d’effacement de soi.

Les enfants régulièrement exposés au stress dans leur relations d’attachement apprennent à survivre en utilisant de façon excessive une ou deux de ces réponses, souvent associées – notamment Freeze et Fawn. Le modèle utilisé a tendance à se rigidifier avec le temps dans une sorte de fonctionnement par défaut.  C’est dans ce contexte que se mettent en place des types d’attachement insécures : l’enfant qui est totalement dépendant de ses parents doit adapter son comportement et l’expression de ses besoins à ce qui est (in)disponible chez ses parents. Ainsi, cet aménagement extrêmement coûteux lui permet de préserver le maximum de proximité avec eux – et donc, de survivre.

On peut alors hésiter et se dire qu’il ne faut tout de même pas exagérer, que le temps a passé, qu’il faut passer à autre chose ! Hé bien non, bien souvent on ne peut pas : les réponses de survie comportant une charge traumatique très forte, le contenu reste imprimé dans la mémoire implicite et colore la perception qu’on a des relations à l’âge adulte.

Il donc est essentiel de comprendre qu’aussi paradoxal cela puisse paraître, si des réactions délétères se manifestent dans les relations à soi ou aux autres aujourd’hui – et que cela semble disproportionné, inadapté et douloureux – cela signifie qu’à un moment donné dans la vie de l’individu, ce comportement s’est avéré nécessaire.

Plaire pour être en sécurité

Pour me sentir en sécurité je dois me fondre dans les envies,
les souhaits et les opinions des autres.

Le besoin de plaire et de satisfaire est une nécessité vitale lorsque cela permet d’éviter le risque d’être retraumatisé. Le moteur de cette problématique est la peur : de l’abandon, du rejet, de la violence.

A l’origine de ce fonctionnement, l’enfant est souvent placé dans une obligation de satisfaire ses parents. Faire plaisir, devancer les besoins, écouter longuement, sécher les larmes, en un mot, s’effacer au bénéfice de l’adulte. En contrepartie il recevra un peu d’affection, un regard positif, un trait d’humour, un apaisement de la figure d’attachement. L’enfant doit faire un effort pour obtenir de la connexion émotionnelle – et donc un sentiment de sécurité. L’amour inconditionnel ne fait pas partie de sa vie.

Ce mécanisme peut aussi se mettre en place dans des contextes de violence face à laquelle l’enfant essaie de se frayer un chemin vers la sortie en “flattant” son bourreau, en trouvant les mots justes : parler gentiment, expliquer qu’on comprend que ce n’est pas facile pour lui, qu’il souffre, qu’on sait bien qu’il ne ferait pas de mal à une mouche, que ses intentions sont pures etc. car les autres options de préservation ne sont pas crédibles. Cela le conduit à anticiper l’insécurité et à s’adapter en permanence…

Conflit, opposition, différenciation : des situations insupportables

Puisque je ne peux pas me défendre, que je ne peux pas m’enfuir et que je suis totalement dépendant.e de ma famille : qu’est-ce que je dois faire ? qu’attends-tu de moi ? qu’est-ce qui te ferait plaisir ? comment puis-je être parfait.e et préserver le maximum de connexion positive avec toi ?

Typiquement, ce qui est activement mis en place dans cette configuration, c’est l’évitement du conflit. Ainsi, la personne s’engage dans un exercice de caméléon qui donne l’apparence d’une adhésion totale à ce qu’elle pense être l’opinion de son interlocuteur et à surtout éviter d’exprimer quoi que ce soit qui fasse entrevoir un avis différent. Elle se fond dans les goûts, la personnalité, les préférences des autres, même si cela va à l’encontre de ses propres valeurs. Cela demande beaucoup d’énergie et de temps passé à observer les mimiques, les réflexions et les avis des autres ; à écouter attentivement des conversations afin de savoir s’il est risqué d’émettre une opinion – qui sera en réalité conforme aux attentes supposées de l’interlocuteur.


Pete Walker* cite entre autres la codépendance, la “servilité”, le perfectionnisme et la parentification comme des caractéristiques typiques de ce fonctionnement.


Il faut que ces personnes comprennent que tant qu’elles choisissent de faire plaisir aux autres à leurs dépens, elles seront piégées. Il faut qu’elles voient la façon dont elles essaient de contrôler la réaction des autres en étant le “gentil garçon” ou la “gentille fille”. Elles doivent trouver le courage d’abandonner ce contrôle en étant franc et honnête avec les autres et les laisser répondre comme ils l’entendent”

Lawrence Heller, “Healing developmental Trauma : How Early Trauma Affects Self-Regulation, Self-Image, and the Capacity for Relationship”.

Dans cette problématique d’attachement, plus l’interlocuteur est proche ou significatif, plus fort s’exprimera cette contrainte qu’être soi-même – donc différent – n’est pas une option. De même, si l’interlocuteur montre des signes de colère, de déception ou de distance, le besoin de flatter et de faire plaisir s’intensifie : c’est le seul chemin connu pour faire baisser une montée de stress insupportable et retrouver un sentiment de sécurité.

Bien évidemment, il s’agit d’une sécurité illusoire puisqu’au lieu de créer du lien, ce mécanisme isole des autres et de soi-même, de sa vraie personnalité.  Il contient l’idée que l’amour ne peut pas être inconditionnel, qu’il faut nécessairement faire beaucoup d’efforts pour recevoir bien peu… et cela nourrit au fond une colère réprimée qui rejaillit parfois avec fracas. La grande vulnérabilité face aux relations marquées par l’emprise, la codépendance et la violence est une conséquence fréquemment observée.

Apprendre à dire non, à établir des limites claires, aller à la rencontre de soi-même avec curiosité, chercher à définir ce qui est moi et ce qui appartient aux autres : “Qu’est-ce que j’aime, au fond ? Qu’est-ce qui fait que je suis moi ? Qu’ai-je de spécial qui me différencie des autres ?”. Et puis, en repensant à la dynamique familiale dans laquelle s’est installée ce fonctionnement : que pourriez-vous imaginer dire à votre père ou votre mère si c’était dans danger et sans conséquence ?

Je ne suis pas ta chose
J’ai des émotions
Je ne t’appartiens pas
Mes goûts me sont personnels
C’est toi l’adulte responsable
Je ne suis pas ta continuité
Je ne suis pas ton anxiolytique
Je suis moi

Sources :
Pete Walker, “Complex PTSD, From surviving to Thriving : au Guide and Map for recovering from Childhood Trauma”.

Laetitia Bluteau | laetitiabluteau.fr