J’ai tellement de difficulté à vivre pour moi-même que toutes mes pensées et mes comportements s’organisent autour des besoins des autres. Il me faut maintenir ces liens à tout prix, quelque soient les efforts pour y parvenir.

Ce texte s’inscrit dans la continuité d’un article précédent sur l’attachement anxieux/ambivalent. J’explore ici un peu plus en profondeur l’une de ses facettes, la dépendance relationnelle.
Le cœur de cette problématique contient une profonde angoisse d’abandon, qui pousse à surinvestir les besoins des autres et négliger le rapport à soi. À l’âge adulte, celle-ci peut se manifester de plusieurs manières :
- L’angoisse de se trouver seul
- De très forts besoins d’approbation et de reconnaissance
- “Oui mais…” : l’insatisfaction permet de rester sur ses gardes et de maintenir un lien à l’autre. Cela peut se traduire comme “Si je prends ce que tu me donnes, que je reconnais sa valeur et que je m’en satisfais, je perds le moyen (par mes reproches, mes demandes, mes besoins insatisfaits) d’attirer ton attention sur moi. Je risque de me retrouver seul, abandonné”.
- La jalousie
- Un sentiment de responsabilité excessif des actions d’autrui
- Un tendance à n’aimer que des personnes à “sauver”
- Une tendance à rechercher à maintenir une relation à tout prix, quelque soient les efforts nécessaires pour y parvenir
- Un grand sentiment de culpabilité après s’être affirmé / opposé
On peut observer deux pôles opposés correspondant à ce système relationnel :
- un pôle très actif, contrôlant, envahissant, presque “guerrier” où la personne parle à la place des autres, prend tout en charge de façon unilatérale, ce qui paradoxalement lui permet d’occuper tout l’espace ;
- un pôle plus passif correspondant davantage à un rôle sacrificiel de victime, dans lequel la personne est assez effacée.
Dans ces deux cas de figure, la possibilité de vivre avec et pour soi-même est profondément carencée, à des niveaux qui peuvent bien évidemment varier d’une personne à une autre.
Ce que l’on peut observer dans la relation au bébé, comme prédicteur de la dépendance relationnelle
À l’origine de ce type d’insécurité, il y a souvent une difficulté chez le parent à répondre avec empathie aux besoins de son bébé, notamment quand il montre des signes de détresse, de colère, d’insatisfaction : le parent a alors tendance à donner des réponses discordantes, négatives ou menaçantes au bébé. Ces difficultés d’accordage échappent à la conscience du parent. Elles se manifestent car l’inconfort du bébé évoque quelque chose d’effrayant chez le parent, du fait de ses blessures d’attachement non résolues – et donc ressenties comme étant encore dans le présent.
- un défaut de co-régulation : comme vous avez pu le lire dans d’autres articles, le développement de l’attachement sécure repose sur la capacité du donneur de soins à rester présent et soutenant pour son enfant, de façon stable et prévisible. Dans ce cas de figure idéal*, le parent ressent ce que l’enfant est en train de traverser et il lui apporte un soutien calme, centré sur ses besoins. Les parents dont les problématiques d’attachement ne sont pas résolues risquent en revanche de transmettre à leur enfant un sentiment d’insécurité lié à leur incapacité à reconnaître en eux-mêmes et à supporter un large panel d’émotions. Celles-ci ont tendance à les submerger par leur intensité. Ces dérégulations chez l’adulte sont si importantes qu’elles bloquent la possibilité d’un accordage apaisant. Je cite souvent la métaphore du masque à oxygène proposée par Peter Levine : en avion, les consignes de sécurité données avant le décollage sont claires, c’est l’adulte qui doit prendre son masque à oxygène en premier, puis en donner un à l’enfant. La co-régulation émotionnelle répond aux mêmes principes : c’est la responsabilité de l’adulte de s’occuper à apaiser son propre état interne – cela demande parfois un important travail en thérapie – et c’est cela qui fournira à l’enfant l’espace contenant lui permettant de ressentir de la peur ou de la colère, et ce, de façon supportable.
- une disponibilité en ON/OFF : l’inconstance de l’humeur du parent, aux prises avec des préoccupations qui le parasitent, a des conséquences importantes puisque cela le déconnecte du moment présent et le rend indisponible – voire indifférent ou hostile – aux besoins de son bébé. A d’autres moments c’est un tout autre parent qui apparaît, joyeux, enthousiaste et en recherche de contact. Le peu de nuances entre ces humeurs est lié au défaut de régulation émotionnelle évoqué au paragraphe précédent. Le bébé ressent très fortement ces variations et leur dimension imprévisible. C’est comme attendre de voir si la pièce qui vient d’être jetée va tomber sur pile ou face. Le bébé grandit dans l’anxiété de ne pas savoir comment ses besoins vont être satisfaits. Bien qu’il puisse y avoir beaucoup d’amour dans cette relation – et la plupart du temps c’est bien le cas ! – le comportement d’attachement en ON / OFF conduit l’enfant à constamment douter de ce qui l’attend et se sentir insécure.
- une difficulté à se différencier de son bébé : la figure d’attachement a ici tendance à interpréter les signaux émis par son bébé selon ce que cela active en elle et à y répondre selon l’intensité émotionnelle ressentie, sans aucun filtre. De ce point de vue, le bébé est davantage perçu comme une une continuité du parent et non comme une personne à part entière.
- l’interruption dans la co-régulation : lorsque le bébé se détend dans un moment d’amour et d’attention porté par sa figure d’attachement, qu’il se relâche de façon à recevoir de l’affection- babille, gazouille, regarde dans les yeux, sourit etc – le parent va avoir un comportement qui va soudainement interrompre ce moment d’harmonie et donc fortement perturber le bébé.
- comportement intrusif et excès de stimulation : l’un des besoins fondamentaux du bébé est de développer une régulation interne. Pour cela, il a besoin de “temps de pause”, pendant lesquels il va se désengager de l’interaction et détourner le regard, regarder ses petites mains, s’occuper d’un petit jouet à mâchouiller… ces temps sont d’une importance capitale en ce qu’ils permettent au bébé de commencer à ressentir son monde interne, à occuper son espace personnel et à récupérer d’un moment relationnel intense. Le non-respect de ces limites saines émane du besoin du parent de maintenir une interaction constante, en fonction de ce qui s’agite en lui : de son niveau d’angoisse, de son temps de disponibilité, de son envie du moment etc. Cela a un impact délétère sur le développement du bébé ainsi que sur la relation, où le bébé peut alors redoubler d’effort pour délimiter son espace personnel et lutter contre l’intrusion… ceci alimenté par le parent qui de son côté, lutte contre le sentiment de rejet en essayant coûte que coûte de récupérer l’attention du bébé.
L’enfant qui grandit dans une famille où ses besoins émotionnels sont satisfaits de façon imprévisible et incohérente risque de devenir un adulte excessivement fixé sur les autres, son monde relationnel étant irrémédiablement vécu comme chaotique.
Le temps a passé, la vie a changé, mais le système d’attachement ne le sait pas.
L’addiction à l’autre
Les personnes qui souffrent de cette dépendance relationnelle ont une faible estime d’elle-même – on peut même aller plus loin et appeler cela un manque d’amour pour elles-mêmes – elles recherchent par tous les moyens relationnels disponibles quelque chose qui va les apaiser. Elles ressentent souvent un grand vide de ne pas savoir qui elles sont, au fond. Dans cette dynamique se met en place un phénomène de régulation externe : la fonction d’auto-régulation n’étant pas suffisamment développée, la recherche de connexion avec les autres aide à apaiser un système d’attachement hypersensible.

L’apaisement recherché est dans tous les cas de très courte durée, mais la récompense en retour de se sentir indispensable a tendance à verrouiller la situation.
Le site internet Mental Health America propose d’explorer plusieurs facettes de la problématique avec ce questionnaire, en gardant bien à l’esprit que toute problématique relationnelle se situe sur un spectre :
- Gardez-vous le silence pour éviter les disputes ?
- Êtes-vous toujours inquiet de l’opinion que les autres ont de vous ?
- Avez-vous déjà vécu avec une personne ayant un problème d’alcool ou de drogue ?
- Avez-vous déjà vécu avec quelqu’un qui vous frappe ou vous rabaisse ?
- Les opinions des autres sont-elles plus importantes que les vôtres ?
- Avez-vous des difficultés à vous adapter aux changements au travail ou à la maison ?
- Vous sentez-vous rejeté lorsque des proches passent du temps avec d’autres personnes que vous ?
- Doutez-vous de votre capacité à être qui vous voulez être ?
- Êtes-vous mal à l’aise à l’idée d’exprimer vos véritables sentiments aux autres ?
- Vous êtes-vous déjà senti inadéquat ?
- Vous sentez-vous comme une “mauvaise personne” lorsque vous faites une erreur ?
- Avez-vous des difficultés à accepter des compliments ou des cadeaux ?
- Vous sentez-vous humilié.e lorsque votre enfant ou votre conjoint.e fait une erreur ?
- Pensez-vous que vos efforts constants sauvent certains de vos proches du risque de sombrer ?
- Ressentez-vous souvent le besoin qu’on vous soutienne à finir ce que vous avez à faire ?
- Avez-vous des difficultés à parler aux personnes qui détiennent l’autorité, comme la police ou votre patron ?
- Êtes-vous confus quant à votre identité ou à la direction que vous prenez dans votre vie ?
- Avez-vous des difficultés à dire “non” lorsqu’on vous demande de l’aide ?
- Avez-vous des difficultés à demander de l’aide ?
- Avez-vous tellement de choses qui se passent en même temps que vous ne pouvez traiter aucune d’entre elles ?
J’approfondis ce sujet dans une série de vidéos portant sur l’attachement anxieux/ambivalent et la codépendance :
*idéal ne signifie pas parfait ! les erreurs, les aléas, les ratés font totalement partie de la vie. La recherche montre que les enfants développent un attachement sécure lorsque la figure d’attachement répond à 30% des besoins de son bébé !
Laetitita Bluteau | laetitiabluteau.fr