Quand la séparation fait peur : aider son enfant à agrandir son cercle de sécurité

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Dans son ouvrage majeur “Attachment : Attachment and Loss” (1969), Bowlby soutient que les enfants ont un besoin biologique inné de former des liens émotionnels avec les personnes qui s’occupent de répondre à ses besoins. Dès les premiers jours de vie, les bébés manifestent une préférence pour le contact physique, en recherchant la proximité de leur mère. Ils peuvent montrer le réconfort d’être pris dans les bras, bercés et soignés de façon sensible et ajustée. La recherche dans ce domaine continue de montrer à quel point ces premiers liens sont essentiels pour le développement émotionnel et social d’un individu.

L’attachement sécure, se comprend dans ce contexte par la confiance qu’un bébé développe envers la disponibilité suffisante de sa figure d’attachement en cas de besoin. Ainsi, intimement convaincu de la fiabilité de son parent, l’enfant peut s’intéresser au monde qui l’entoure et commence à explorer son environnement en utilisant sa figure d’attachement comme une base de sécurité.

Selon les styles relationnels de ses parents, le petit enfant va plus ou moins avoir accès à cette souplesse au cours de son développement. A ce sujet, avez-vous entendu parler de La Situation étrange ? L’objectif principal de cette étude était de comprendre :

  • comment les enfants réagissent à la séparation de leur donneur de soin principal
  • leur comportement lors de la réunion
  • et leur manière de gérer le stress induit par cette séparation

Si c’est une information nouvelle pour vous, voici un détour vers l’histoire de la découverte des styles d’attachement, toujours utile aujourd’hui :

“The Strange Situation”

L’exploration, associée au plaisir et à l’accès progressif à l’autonomie, n’est possible que si les donneurs de soins représentent cette fameuse base de sécurité.

Récapitulons les points essentiels :

Nourrissons (0-6 mois) :

Le bébé, s’il a besoin d’une grande proximité physique au début de sa vie, va tout doucement acquérir des compétences l’amenant à davantage d’autonomie. Les nouveau-nés ne présentent généralement pas une anxiété de séparation prononcée mais ils peuvent manifester des signes de détresse lorsque leur besoin de proximité et de soins n’est pas satisfait.

Bébés (6 mois – 1 ans) :

Vers l’âge de 6 mois, certains bébés commencent à manifester des signes d’anxiété de séparation plus évidents. Ils peuvent par exemple montrer du mécontentement ou de l’angoisse lorsque leurs parents s’éloignent, même pour de courtes périodes.

L’anxiété de séparation atteint souvent son pic entre 1 et 2 ans. À ce stade, les enfants peuvent manifester des réactions plus intenses, telles que des pleurs, des cris, ou s’accrocher physiquement à leurs parents lorsqu’ils tentent de partir. À cet âge, les enfants commencent à développer une compréhension plus approfondie de la permanence de l’objet, c’est-à-dire que les objets et les personnes continuent d’exister même s’ils ne sont pas visibles. Les jeux comme le cache-cache peuvent aider à renforcer cette compréhension.

Enfants d’âge préscolaire (2-5 ans) :

À mesure que les enfants grandissent, ils comprennent, lorsque tout va bien, que leurs parents reviendront. Ils intériorisent cette idée et cela les rassure suffisamment. Ils peuvent néanmoins manifester des comportements tels que la protestation, la recherche constante d’attention des parents ou des crises de larmes mais ils sont aussi davantage en capacité d’exprimer avec des mots leur anxiété de séparation. Le jeu libre, consistant à se laisser totalement guider par le scénario imaginé par l’enfant peut donner des indications précieuses sur son vécu et la forme que prennent ses préoccupations.

Enfants d’âge scolaire (6 ans et plus) :

Les enfants plus âgés peuvent continuer à ressentir cette anxiété en refusant par exemple de passer la nuit loin de chez eux ; de même, les séjours chez des amis, des grands-parents ou en colonie peuvent être particulièrement difficiles. En grandissant, il sera très utile à ces enfants de comprendre les mécanismes de l’anxiété de façon à pouvoir l’appréhender comme une sorte de peur qui s’active dans le corps, mais à laquelle il ne faut pas donner trop de place. Il est alors important de continuer à encourager les enfants à oser approcher la fameuse “zone proximale de développement”, suffisamment inconfortable pour les aider à avancer, mais pas trop non plus car en étant trop stressé, on n’est pas en capacité d’apprendre de nouvelles façons de surmonter les difficultés.

Si vous vous sentez en difficulté face à une anxiété de séparation résistante de votre enfant, la première dimension à évaluer se situe en vous. Quelques questions à se poser se trouvent autour de vos propres émotions face à la séparation, avec votre enfant et/ou avec vos proches en général :

  • Sentez-vous que vous avez besoin d’être rassuré.e par la proximité de votre enfant à vos côtés ?
  • Ressentez-vous du stress lorsque votre enfant n’est pas engagé dans des interactions avec vous ?
  • Avez-vous été séparé.e trop tôt, ou brutalement de vos parents ?
  • Avez-vous “appris” de façon inconsciente qu’il était insécurisant d’être séparé.e, que cela entraînait un risque important, que c’était associé à un danger de perte ?
  • Avez-vous eu de la difficulté à investir la relation avec votre bébé, pendant la grossesse et/ou dans les temps qui ont suivi ?
  • Avez-vous du mal à investir intimement une autre relation que celle que vous vivez avec votre enfant ?
  • Considérez-vous que vous êtes une personne plutôt anxieuse ?

Si certaines des réponses à ces questions étaient vraies dans le passé mais le sont moins aujourd’hui, sachez qu’il est fréquent que le vécu précoce continue d’exercer une influence des années plus tard (cela se travaille rassurez-vous !).

Une autre dimension se situe dans les expériences précoces de votre enfant :

  • A-t-elle été exposée à un contexte effrayant, inconnu au début de sa vie ?
  • A-t-il fait face à des expériences de séparation difficiles, telles qu’un séjour en couveuse, une hospitalisation, ou même un abandon ?
  • A-t-elle été amenée à changer d’environnement et de figures de soin suite à des déménagements ?
  • A-t-il vécu ses premières années de vie dans un environnement peu stable ?
  • L’une de ses figures d’attachement souffre-t-elle d’une maladie grave ?

Ces pistes amenant vers la compréhension de ce qui est en jeu dans le lien d’attachement, peuvent être saisis pour fournir à l’enfant un récit plus cohérent de son histoire.

Et pour l’accompagner au quotidien, l’écoute et l’observation de ce que vous ressentez passe par la co-création d’un espace sécurisant :

  1. Valider les émotions avec présence et empathie : Il est important d’écouter les inquiétudes de l’enfant telles qu’elles se présentent réellement, de les valider sans chercher à les édulcorer ou les minimiser, même si cela vous rend triste ou vous inquiète. Attention, tout débordement émotionnel chez le parent est bien entendu à traiter séparément chez un professionnel de l’aide, il est crucial d’en protéger l’enfant qui ne doit surtout pas être exposé à la détresse de l’adulte qui s’occupe de lui.
  2. Co-construire des routines : Les routines prévisibles aident à établir un sentiment de sécurité. Les enfants savent à quoi s’attendre et peuvent se sentir plus en confiance. Le cercle de sécurité de l’enfant va ainsi pouvoir s’agrandir progressivement, en établissant des étapes jalonnant la séparation provisoire, en amont de reconnexion avec l’adulte.
  3. Favoriser l’autonomie : Encouragez et valorisez les activités autonomes pour renforcer le sentiment de compétence et d’indépendance. Progressivement, selon ses étapes de développement, aidez-le à investir des lieux en dehors de la maison où il pourra affiner ses habiletés sociales et agrandir son terrain de jeu.

Bien entendu, ne faites pas l’économie d’une consultation chez un professionnel qualifié si ces difficultés persistent. Parmi celles qui existent, je recommande chaleureusement l’approche en Lifespan Integration (ICV), qui vise d’abord à travailler ce qui se passe chez le parent. Mais il y en a d’autres, tous les accompagnements sensibles et qualifiés vous aideront à mieux comprendre ce qui effraie votre enfant… et vous même aussi peut-être ?

Laetitia Bluteau | laetitiabluteau.fr