
Je ne me mets jamais en colère. Il me pousse une tumeur à la place.
Hannah et ses sœurs – Woody Allen, 1986
L’agressivité, un impératif biologique
Chez les mammifères, la protection pour sa propre survie en tant qu’individu ou pour celle de ses petits, passe par l’expression évidente et indiscutable par de l’agressivité saine. Cette agressivité c’est de la protection pure.
Ce n’est pas la seule réponse possible car le mode de survie qui s’enclenche peut varier selon les situations, selon le positionnement dans la chaîne alimentaire et elle se décline en trois grandes options que sont la fuite, l’attaque ou le figement.
Si l’attaque, la fuite et le figement (Fight, Flight, Freeze) sont des notions nouvelles pour vous, allez voir par ici : “Le trauma est dans le système nerveux – pas dans l’événement”
Lorsque c’est l’attaque qui s’enclenche dans le corps, cela se traduit par un afflux d’adrénaline qui, en circulant dans le sang, produit des bouleversements physiologiques permettant de produire et mobiliser une quantité d’énergie phénoménale pour faire face à la menace qui se présente. Dans le monde sauvage, cela se résout par “tuer ou être tué” : le système nerveux déclenche une réponse de survie dont l’intensité est de courte durée… et les animaux retournent ensuite à leurs occupations une fois le danger écarté s’ils ont gagné la bataille.
La colère délimite un territoire physique et émotionnel
Gabor Maté compare la colère, dans sa fonction de protection, à notre système immunitaire : la délimitation qu’elle installe entre soi et l’agression permet de maintenir une intégrité, un équilibre interne. Tout comme la réponse immunitaire, “l’émotion est “l’outil” que l’organisme utilise pour interagir avec l’environnement extérieur. Grâce à la réponse émotionnelle et immunologique, nous apprenons à distinguer ce que nous aimons de ce que nous n’aimons pas, à faire face à un large éventail de défis et à nous adapter à l’environnement dans lequel nous vivons” (d’Acquisto, 2017).
Tout comme nos cousins mammifères d’autres espèces qui se défendent avec cette agressivité vitale, nous avons besoin de nous ériger face à ce qui représente une menace. Ce n’est pas une option parmi d’autres, c’est un impératif biologique profondément relié à la survie. Pour nous, humains, cette agressivité saine se traduit par la capacité à dire non, à fermer la porte à une relation toxique, à prendre parti pour une cause à laquelle on croit, à ressentir que l’on vit une situation injuste, que l’on n’est pas d’accord. L’accès à cette capacité ne va pas de soi, les adultes doivent autoriser leur petit humain à s’exprimer dans ce registre.
Quand la colère est incomprise
Cette incompréhension est sans doute en partie liée à un fâcheux malentendu qui confond la violence et la colère :
- La première se déclenche de façon dérégulée et plus elle se décharge, plus elle s’amplifie. C’est comme un incendie qui dévore tout sur son passage, aveuglément et sans limite ; Elle créé des ravages et cherche à imposer un déséquilibre dominant / dominé.
- La seconde porte une intention : elle délimite, protège et maintient à l’écart ce qui doit le rester. Elle défend des droits, honore des besoins profond – ces besoins non satisfaits ont souvent une histoire qui remonte à bien loin dans le temps.
Remontons le temps justement, au tout début de la vie : en arrivant au monde le bébé est totalement dépendant de ses parents à tous points de vue et progressivement, il a accès au mouvement. En ressentant sa capacité à se mouvoir par lui-même, à tirer, attraper, il commence à se rendre compte de sa force, de son impact sur le monde. Et souvent, ces premiers mouvements vont agripper, griffer, tirer les cheveux, mordre. Des gestes exploratoires innocents qui rentrent malencontreusement dans des circuits interprétatifs de parents qui peuvent voir ça comme de l’agression, car ces gestes réactivent pour certains, un stress non résolu. On peut alors entendre des déclarations disproportionnées comme “Tu es méchant !” à un bébé qui commence tout juste à découvrir le monde. Non, un bébé n’est pas “méchant”, mais cette répression disproportionnée commence déjà à communiquer un message autour de la dangerosité à sentir sa force.
On conseille souvent aux personnes atteintes de cancer, de maladie auto-immune, de fatigue chronique, de fibromyalgie ou de troubles neurologiques débilitants de se détendre, d’être positives et de réduire leurs niveaux de stress. Ce sont de bons conseils, mais ils sont impossibles à suivre lorsque l’une des principales sources de stress, l’intériorisation de la colère, demeure inconsciente.
“Quand le corps dit non”, Gabor Maté
Le bébé commence très tôt à sentir l’ambiance qui entoure ses premières impulsions physiques. Et puis cela se précise encore aux alentours de deux ans, quand arrive cette fameuse phase du “non” qui accompagne l’accès à davantage d’autonomie, à faire par soi-même sans aide, à se sentir compétent, à s’affirmer. Les parents le savent c’est souvent une période dans laquelle il peut y avoir des colères, de la confrontation… et c’est nécessaire ! Mais encore une fois, si les parents ont eux-mêmes une histoire difficile avec le conflit, qu’ils se sentent menacés par leur enfant, ils risquent de se tromper en interprétant ce besoin d’autonomie comme du rejet, de la méchanceté ou du désamour.
Suppression de la colère et suppression de l’authenticité
Ces défauts d’interprétation entraînant des réactions particulières chez les parents (elles varient entre la tristesse, le repli sur soi, le désespoir, la violence, le rejet…) contiennent un message inquiétant pour l’enfant. Plus ils découragent l’expression de la colère, plus elle devient source d’anxiété pour l’enfant qui, pour maintenir le maximum de proximité avec son parent, va s’adapter à son environnement familial qui lui communique que d’être en colère est dangereux.
Si l’énergie de l’enfant correspondant authentiquement à l’état dans lequel il se trouve, est comprimée – c’est-à-dire que les conséquences sont disproportionnées par rapport à son expérience réelle – et qu’il n’est donc pas autorisé à avoir accès à son agressivité, il risque de grandir avec un grand inconfort face aux situations conflictuelles et de se montrer trop gentil, trop sage, trop serviable, se détournant de son authenticité. La colère est toujours là, mais elle est bloquée dans le corps et cette énergie est responsable de nombreux problèmes relationnels, émotionnels et même des problèmes de santé.
C’est donc un sujet très sérieux. Autorisons nos enfants à avoir accès au conflit, au désaccord, au “non” tout en leur faisant sentir que nous, adultes, menons la danse : nous sommes les leaders et devons délimiter l’espace dans lequel il peuvent explorer et taper du pied !
Et vous, quelle relation entretenez-vous avec votre colère ?
- Est-elle accessible ou totalement enfouie ?
- Avez vous du mal à dire non ?
- Vous sentez-vous embarqué.e dans des relations où règne une forme d’emprise ?
- Vous sentez-vous légitime à protéger vos intérêts ?
- Pouvez-vous parler franchement ou passez-vous par des chemins détournés pour arriver à vos fins ?
Si ces sujets sont une source de stress dans votre vie, il vaut mieux dans un premier temps éviter de vous exprimer trop franchement face à une personne qui vous effraie.
En revanche, il vous sera certainement utile d’oser sentir et exprimer la colère que vous ressentez authentiquement, dans un contexte sécurisant – par exemple chez vous, au calme, dites à voix haute ce que vous auriez voulu répondre, grognez, tordez une serviette, tapez du pied, écrivez ce que vous pensez et froissez la page ou déchirez-là ! La saine colère, une fois exprimée, permet de revenir au calme, c’est comme une vague qui nettoie sur son passage et vous laisse tranquille et apaisé.e… et c’est un premier pas pour retrouver votre précieuse authenticité.
Laetitia Bluteau | laetitiabluteau.fr