Comment l’actualité perturbe notre santé psychique – et des pratiques pour accroître la résilience

Covid-19, attentats, dérèglement climatique… Nous avons tous été témoins de réactions très différentes face à l’accumulation des événements de ces derniers mois – auxquels nous sommes exposés collectivement. Ces événements ont un impact plus ou moins direct sur nos vies et bien qu’ils ne se situent pas sur le même plan, ils sont susceptibles d’activer de l’anxiété.

Ces réactions varient sur un continuum d’une certaine forme d’indifférence à une tension et une anxiété extrêmes. Il est bien évidemment cohérent et adapté de ressentir de l’inquiétude au vu des événements récents : ce dont il est question ici est plutôt de l’ordre de la sensation d’envahissement d’une anxiété (“que va-t-il se passer, on va tous mourir !”) ou d’une symptomatologie dépressive (“c’est peine perdue, il n’y a plus aucun espoir”) qui peuvent prendre le dessus lorsque le sentiment d’insécurité devient plus réel, nourri par la confusion et l’incertitude.

Le cerveau réagit à une impression de déjà-vu

Certaines personnes sont en réalité davantage vulnérables au stress : cela est dû, dans de nombreux cas, au fait qu’elles ont elles-mêmes vécu un épisode traumatique au cours de leur vie qui est resté non résolu, ou bien qu’elles ont été exposées à un stress chronique au cours de leur vie, notamment pendant l’enfance… et le cerveau ne l’oublie pas !

Lorsque quelque chose rappelle le passé aux personnes traumatisées, leur cerveau droit réagit comme si l’événement traumatique se produisait dans le présent.

Bessel Van Der Kolk, The Body Keeps the Score : Brain, Mind, and Body in the Healing of Trauma

Ainsi, tel que l’a nommé Stephen Porges, la neuroception désigne la reconnaissance (par le système nerveux autonome) de ce qui se présente dans l’environnement comme quelque chose qui se connecte instantanément à un danger que l’on a réellement connu dans le passé. C’est comme si on appuyait sur un bouton qui allume toute une chaîne d’événements connectés les uns aux autres – connectés car ils contiennent tous quelque chose de similaire.

Pour ce qui concerne les épisodes traumatiques uniques non résolus et qui peuvent se réveiller dans une période anxiogène, la thérapie ICV est particulièrement efficace et permet de traiter le “trauma-racine” en une séance unique (voir à ce sujet la recherche menée en Suède par le Dr Gita Rajan).

En revanche, lorsque le contexte réactive quelque chose de chronique, il ne s’agit pas d’une connexion simple (la situation B me ramène au souvenir A) mais de connexions complexes constituées de plein de fils qui s’entremêlent et forment des connexions qui vont dans plein de directions différentes (la situation Y me ramène au souvenir C, puis R, puis 12, puis F, puis 42, puis H…). Par exemple, la perte de liberté de mouvement peut se connecter à des situations passées dans lesquelles on a été puni de façon excessive, empêché de s’exprimer, enfermé dans une pièce. L’impression de danger ambiant peut rappeler quelque chose de similaire où on a dû maintenir une vigilance de tous les instants pour éviter les coups d’une personne maltraitante à la maison. Il s’agit donc d’une reconnaissance d’une “ambiance” dans laquelle, à la source, on a ressenti de la solitude et de l’impuissance et ce, de façon répétitive. En reconnaissant l’ambiance contenue dans les souvenirs initiaux, le corps déclenche sa réponse de stress.

Ces réseaux de souvenirs sont connectés dans une spirale descendante

Une partie du travail à envisager consiste à passer d’une réponse passive à une réponse active, de sortir de l’immobilité pour aller vers la mobilité.

L’accumulation des mauvaises nouvelles peut donner l’impression de lutter quotidiennement pour maintenir sa tête hors de l’eau : lutter contre l’épuisement et le stress, contre la tristesse et l’inquiétude de la prochaine mauvaise nouvelle à venir. On peut se dire avec une sensation désespérée que l’on est sur le point de s’effondrer. Justement cela est lié en partie à la façon dont les souvenirs sont stockés dans le cerveau : lorsqu’on est triste, on a plus de chances de se rappeler d’autres moments où on était triste. C’est pourquoi les personnes souffrant de trauma non résolus peuvent être activés par des événements qui les entraînent dans une spirale descendante de souvenirs désagréables connectés les uns aux autres.

Il y a donc une sorte d’effet domino où plus on se sent impuissant, plus on glisse vers cet état d’immobilité et d’incapacité à réfléchir, qui s’accompagne souvent de désespoir. Une partie du travail à envisager consiste à passer d’une réponse passive à une réponse active, de sortir de l’immobilité pour aller vers la mobilité.

La spirale descendante peut devenir ascendante

La bonne nouvelle, c’est que ces interconnexions entre les souvenirs douloureux peut être utilisée en notre faveur car nos émotions, nos sensations et souvenirs positifs sont également interconnectés. Et il ne s’agit pas de plonger naïvement dans une idéologie positive qui balaye la réalité d’un revers de main, cela n’a à mon avis aucun intérêt. Il s’agit plutôt de rechercher un lien authentique avec notre part vivante, avec les ressources réelles qui sont en chacun de nous et qui vont nous aider à mieux faire face – donc éviter de s’effondrer.

Cette animation montre comment les neurones forment de nouvelles connexions.

Par conséquent, concentrer son esprit sur des souvenirs où vous vous sentiez heureux, autonome ou paisible peut vous aider à vous rappeler d’autres expériences positives… vous aidant ainsi à vous connecter à la spirale ascendante.

Essayez de vous souvenir d’un moment relativement récent – de ces derniers mois – dans lequel vous vous êtes senti.e au meilleur de vous-même. Et en plongeant dans ce souvenir, voyez s’il vous est possible de vous imaginer de nouveau à la première personne dans ce souvenir agréable. Connectez-vous avec les sensations : la température, la tension de vos muscles, la brise qui caresse vos joues. Cela peut être un souvenir où vous avez “réussi” quelque chose, ou un moment partagé avec une autre personne ; cela peut être lié à une sensation générale de bien être en randonnée ou dans l’océan… reconnectez à ce souvenir avec vos sens et observez comment ce souvenir agréable se traduit dans votre corps. Vous pouvez en faire un dessin, ou écrire quelques mots qui décrivent ce moment. Et puis continuez à explorer : voyez si ce souvenir que vous avez choisi se connecte à un autre souvenir plus ancien, faites en à nouveau un dessin ou un poème et continuez ainsi à remonter le temps en vous replongeant dans ces scènes agréables. Et maintenant, une fois que vous avez collecté quelques souvenirs, trouvez le moyen de les relier entre eux, par exemple en les fixant sur une ficelle les uns à la suite des autres dans l’ordre chronologique. Et gardez cela précieusement, vous pourrez vous connecter à cette spirale ascendante dans des moments où vous sentez le stress qui affleure, au réveil ou moment d’aller dormir…
Créez votre une spirale ascendante sous la forme d’une frise chronologique,
pour vous-même et pour vos enfants

L’un de ces souvenirs peut constituer une ressource pour des exercices de “pendule” :

“Penduler” consiste à se connecter dans un mouvement de balancier, d’une sensation désagréable à une ressource. Progressivement, au fur et à mesure des répétitions, la sensation se transforme et devient moins menaçante. Il s’agit de ressentir la ressource, le bien-être qu’elle vous procure, puis de penser et de ressentir brièvement ce qui est “activant” dans le corps dans la situation présente. D’en ressentir le type de douleur ou d’inconfort, très rapidement au début et revenir rapidement à la ressource. Et on fait comme cela des va-et-viens. Petit à petit l’inconfort devient plus facile à tolérer, les sensations bougent et s’apaisent. C’est notamment un exercice phare de la Somatic Experiencing, développée par Peter Levine, qui peut se pratiquer avec de nombreuses adaptations.

Stimuler la spirale ascendante en pratiquant la “gratitude

Toujours dans l’idée de stimuler ce qui est vivant en nous, pratiquer la gratitude peut être très aidant lorsqu’on se sent aspiré vers le bas. Il s’agit de simplement prendre des notes à la fin de la journée concernant trois choses qui ont été agréables, positives ou qui se sont plutôt bien passées et pour lesquelles vous ressentez de la reconnaissance. Prendre ces notes dans un cahier comme un rituel, ou pourquoi pas les enregistrer en notes vocales, permet de garder une trace et de pouvoir y revenir. Se souvenir de moments où on s’est senti épaulé et dire merci à cette personne, lui exprimer ce que son aide a apporté dans votre vie stimule la sensation de connexion aux autres dans ses aspects les plus soutenants et constructifs – tout en initiant un cercle vertueux.


Voir également : Crise d’angoisse : 5 techniques pour revenir au calme


La résilience en temps de crise

Le premier confinement a fait apparaître de nouveaux systèmes d’entraide : dans cette épreuve inédite, que nous ne pouvions qu’imaginer délimitée par un “retour à la normale”, les efforts se sont multipliés, avec souvenons-nous, une généralisation de la gratuité dans des domaines très divers – soutien scolaire, cours en ligne, idées d’activités pour les enfants – soutien aux producteurs et commerçants, services aux personnes vulnérables, mise à disposition d’appartements et applaudissements aux fenêtres en signe de solidarité avec les soignants… parmi d’autres exemples.

Aujourd’hui nous voyons que la crise sanitaire s’installe dans un temps indéfini et s’accompagne d’autres crises dramatiques. Dans ce contexte il est essentiel de prendre soin des relations qui comptent : prendre des nouvelles, rendre service, être à l’écoute lorsque la relation le permet, sont autant de petits gestes qui consolident le lien aux autres. Car ne l’oublions pas, nous sommes des êtres éminemment sociaux, notre évolution en tant qu’espèce a été possible grâce à notre capacité à nous organiser en groupes, à compter les uns sur les autres et cela est profondément ancré dans notre sentiment interne de sécurité.

Il est important également de prendre position : non pas dans le conflit mais à travers des actes quotidiens qui font qu’on se sent plus en cohérence avec nos valeurs, que l’on contribue à la construction du monde dans lequel on souhaite vivre.

Les crises collectives nous perturbent et modifient notre rapport au monde. Ce qui nous paraissait acquis et stable se révèle en réalité complexe et fragile. Comme nous l’avons vu, ces bouleversements ont un impact plus ou moins fort sur notre système de stress, selon les événements que l’on a vécu dans le passé mais dans tous les cas, il est nécessaire d’essayer d’y faire face au mieux – en ayant toujours à l’esprit que le stress des parents se transmet toujours aux enfants.


Laetitia Bluteau | laetitiabluteau.fr