L’impact traumatique des accidents et des chutes est souvent minimisé
Chez les enfants, les accidents et les chutes sont probablement la source la plus importante de traumatismes potentiels. Les chutes (du lit, de la chaise haute, dans les escaliers…) accompagnent nécessairement leur développement moteur, guidé par leur besoin d’exploration. Cette catégorie comprend également les accidents de voiture, la noyade, les blessures dans le sport. L’impact traumatique peut rester caché derrière la volonté de se montrer fort ou de ne pas décevoir ses parents. Pourtant, le trauma peut laisser des traces résiduelles dérangeantes, comme des symptômes qui ressemblent à de l’hyperactivité, de l’anxiété, des peurs incompréhensibles. Lorsque le trauma n’est pas résolu, l’organisme est fixé dans un état d’alerte permanent. Même si le discours de l’enfant n’est pas explicitement lié à son vécu traumatique, son comportement, sa façon de jouer, les plaintes physiques révèlent sa difficulté à vivre avec cette perturbation interne.
Les éléments qui suivent sont issus du travail de Peter Levine, fondateur et développeur de la Somatic Experiencing. Ils peuvent être retrouvés dans son ouvrage “Trauma through a child’s eyes”. Avant de s’y atteler, la toute première étape consiste à veiller à votre propre état interne : de même que les consignes de sécurité en avion insistent sur la nécessité que l’adulte prenne son masque à gaz avant de s’occuper de ses enfants, il en est de même dans une situation de stress intense. Toute intervention, pour qu’elle soit bénéfique, nécessite que l’adulte soit bien régulé et ne déborde pas de stress.
Évaluation de l’état de l’enfant : est-il “débordé” par l’événement qu’il vient de vivre ?
Il s’agit d’observer attentivement l’enfant et de noter si un changement s’est produit concernant la couleur de sa peau (est-elle devenue pâle ?), la tension des muscles (la posture est-elle rigide ou affalée ?) et la température (les mains sont-elles froides ou moites ?).
- Observer l’expression du visage, en particulier les yeux et la bouche Ceux-ci sont-ils grands ouverts, fixés dans une expression de sidération ? Le regard est-il vague, les pupilles sont-elle dilatées ?
- Soyez attentif à la respiration et au rythme cardiaque : la respiration est-elle rapide ou superficielle ? Le cœur bat-il très vite ou très lentement ?
- Observez les réactions cognitives ou émotionnelle (ou leur absence)
- L’enfant parait-il hébété ou confus ?
- Parle-elle comme s’il était quelqu’un d’autre ?
- Le regard est-il vide ?
- Est-il particulièrement émotif ? (hurle de terreur, pleure en criant ?)
- Est-elle trop tranquille, le visage sans expression, comme si rien ne s’était passé ?
Répondre “oui” à une ou plusieurs de ces descriptions indique que votre enfant réagit à une expérience qui le déborde – du stress intense au choc aigu – et qu’il a besoin d’aide.
Comment se comporter face à un enfant qui est sous le choc ?
Lorsqu’il y a un choc, il est normal de ne rien ressentir au départ, parce que les hormones libérées pour le “Combat, la Fuite ou le Figement” ont un effet analgésique. Les sensations apparaissent lorsque le choc commence à se dissiper. Rassurez votre enfant et validez ses sensation et/ou ses émotions, avec une voix calme lui assurant que vous :
- comprenez ce qu’il doit être en train de vivre en nommant ses émotions
- savez ce qu’il faut faire, car vous, l’adulte, êtes responsable
- le protégerez et prendrez soin de lui, c’est votre priorité absolue
- êtes certain que le pire est terminé (si c’est vraiment le cas !) et que les choses vont bientôt s’arranger
- resterez près de lui jusqu’à ce qu’il se sente mieux
Pour résumer, le message général à lui transmettre c’est “Maintenant tu es en sécurité. Je vais prendre soin de toi”. La présence et le contact physique sont ici essentiels.
Pour mieux comprendre la réponse de l’organisme face à un danger (Fight, Flight or Freeze response / Combat, fuite ou figement) lire Psychotraumatisme : faut-il parler de ce qui s’est passé ?
Premiers secours pour les accidents et les chutes
- Évaluez votre propre état : comme indiqué plus haut, un adulte agité ou perturbé aura tendance à effrayer un enfant sous le choc. Bien que très importante, cette étape ne doit être trop longue.
- Maintenez l’enfant en place et au calme. Dites lui d’une voix ferme et bienveillante, d’une façon qui inspire totalement confiance, que vous êtes en charge de la situation et que vous savez exactement ce qu’il faut faire. Couvrez l’enfant d’une couverture qui maintienne ses épaules et son torse bien au chaud. S’il y a eu un choc à la tête, ne laissez pas l’enfant s’endormir jusqu’à ce que vous receviez l’accord du médecin.
- Réservez un maximum de temps pour le repos : c’est particulièrement nécessaire lorsque l’enfant montre des signes de choc (voir plus haut “Évaluation de l’état de l’enfant”). Ne pas le laisser sauter ou retourner jouer et lui dire quelque chose comme “Après une chute, il est important de rester au calme un moment, jusqu’à ce que le choc se dissipe. Maman va rester avec toi jusqu’à ce que ça aille mieux”.
- Contenez physiquement votre enfant : Si votre enfant est encore petit, vous pourrez le prendre dans vos bras, d’une façon douce et qui n’entravera pas ses mouvements. Évitez de trop le bercer afin de permettre au corps de se réguler naturellement. Pour un enfant plus âgé ou un adolescent, posez une main au milieu du dos, derrière son cœur ou sur le côté extérieur de son bras, juste au-dessous de l’épaule. De cette façon, votre calme intérieur sera communiqué à votre enfant par le toucher.
- Alors que le choc se dissipe, guidez l’attention de votre enfant sur son ressenti corporel : le langage de la guérison du corps est celui du cerveau reptilien. C’est le langage des sensations, du temps et de la patience.
Demandez à votre enfant “Comment tu te sens, dans ton corps ?” et répétez sa réponse comme une question “Tu te sens bien dans ton corps ?” Ensuite, posez une question plus spécifique “Comment te sens-tu dans ton ventre ?” (bras, jambe, tête etc.). Si l’enfant évoque une sensation particulière, l’inviter alors à préciser sa localisation, sa couleur, sa forme, son poids et aidez-le à maintenir son attention sur ce ressenti. Après quelques instants demandez “Et maintenant, est-ce que la sensation est toujours la même ou est-ce qu’elle a changé ?”. - Observez une ou deux minutes de silence entre chaque question : c’est le plus difficile pour l’adulte, mais c’est le plus important pour l’enfant. Cela permet à chaque cycle de guérison de se terminer. Les indices permettant de détecter la fin d’un cycle sont : une respiration profonde et spontanée, l’arrêt des pleurs et/ou des tremblements, un étirement, un bâillement, un sourire ou bien la reprise ou le retrait du contact visuel.
- Ne pas discuter de l’événement au cours de ce processus : Le fait de poser trop de questions autour de l’événement qui vient de se produire va venir perturber le processus naturel de guérison. Plus tard, lorsque l’enfant aura traversé cette épreuve, il aura peut-être envie d’en faire un dessin, de le rejouer ou de créer une histoire. Mais à la suite du choc, le processus a besoin de calme et de temps. Il peut donc s’avérer difficile de maintenir cette atmosphère lorsqu’il y a du monde qui pose des questions. Dans ce cas, répondre simplement “On en parlera plus tard. Pour le moment votre sœur a besoin de se reposer un peu”. De plus, mettre des mots sur un événement traumatique non encore métabolisé risque d’ajouter encore plus de frayeur à l’expérience.
- Continuez de valider les réactions physiologiques de l’enfant : Pour que le corps retourne à son état d’équilibre initial, les signes de détresse de l’enfant doivent continuer de s’exprimer jusqu’à ce qu’ils s’arrêtent spontanément. Il faut résister à l’envie de faire stopper les tremblements et les pleurs. Votre rôle est de continuer à garder cette posture rassurante en disant d’une voix calme “Ça fait du bien de faire sortir toute cette peur de ton corps. C’est pour ça que tu trembles”. Il s’agit d’accompagner le processus, sans le distraire ni l’interrompre.
Chaque cycle peut nécessiter entre cinq et vingt minutes. Les chutes et accidents mineurs seront ainsi résorbés et l’enfant retournera à une vie normale. Ce protocole est valable avec des adultes ainsi que pour d’autres situations traumatiques, mais bien entendu, dès lors que le trauma est associé à l’intervention humaine (violence sexuelle, molestation, procédures médicales invasives) ou que l’événement implique des conséquences dramatiques, la résolution du trauma est bien plus complexe et longue.
Pour aller plus loin sur ce sujet, lire “Healing Trauma” ou “Trauma through a child’s eyes” de Peter Levine.
Comment apaiser les peurs de l’enfance
Laetitia Bluteau | laetitiabluteau.fr