L’attachement, c’est le lien entre un enfant et son “caregiver“, la personne qui est amenée à s’occuper de lui – le plus souvent, sa mère. Ce lien se met en place au sein une danse relationnelle dans laquelle le bébé manifeste son besoin et auquel le parent répond grâce à sa capacité à “lire” l’était émotionnel du nourrisson : dans cette communication émotionnelle essentiellement non-verbale, le parent aide l’enfant à se réguler, à se sentir important. Lorsque ses besoins sont bien pris en compte – et ce de façon répétée – le bébé peut supporter de ressentir des émotions, acquiert une confiance en lui-même, en les autres et dans le monde qui l’entoure.
Si ce lien est malheureusement altéré, voire interrompu, cela peut donner lieu chez l’enfant à la formation d’un trouble de l’attachement. Comme toujours en psychologie, cette notion est à concevoir en termes de “spectre”, des simples tendances jusqu’au trouble. Le DSM 5 propose des critères diagnostiques pour en décrire des manifestation sévères, le “Trouble réactionnel de l’attachement” (Reactive Attachment Disorder, RAD) ou le “Trouble de désinhibition sociale” (Deshinibited Social Engagement disorder, DSED).
Qu’est-ce qui provoque la rupture du lien d’attachement ?
La manifestation d’un sentiment d’insécurité dans la relation parent-enfant peut se présenter de différentes façons. Dans tous les cas, lorsqu’il y a rupture c’est que le caregiver n’est pas suffisamment disponible aux besoins de l’enfant. ces besoins sont physiologiques (sommeil, nourriture, soins médicaux), d’amour (tendresse, câlins, régulation face à la peur), de sécurité (sentiment d’être protégé), d’appartenance (faire partie d’un groupe, se sentir important, avoir sa place).
L’altération de la qualité de l’attachement, définit comme une carence de soins adaptés, peut avoir des origines multiples :
- La rupture la plus évidente est la perte de la figure d’attachement. Pour l’enfant – et encore plus pour le bébé qui est encore très dépendant – le caregiver est tout son univers. Sa disparition entraîne inévitablement un grand bouleversement. Que cette disparition soit liée à un décès, un accouchement sous x, un placement de l’enfant, ces longues séparations sont très perturbantes. Ainsi, les troubles de l’attachement sont fréquemment observés chez les enfants placés en foyer ou en famille d’accueil ainsi que chez les enfant adoptés.
- La maladie de la mère représente également un grand risque pour le lien d’attachement, car elle est moins disponible, la qualité de ses soins est moins stable.
- Les grossesses non désirées ou les dénis de grossesse.
- La consommation de drogue ou d’alcool.
- La violence, la négligence et les abus présents dans certaines familles.
- Les conditions de précarité, le climat d’instabilité politique et la guerre.
- Un manque ou une absence de “réparation” suite à des expériences relationnelles négatives.
- Le type de relation que le caregiver a vécu avec ses propres parents va probablement se manifester avec l’enfant dans une transmission transgénérationnelle.
L’insécurité relationnelle se traduit par une hyperactivation ou une hypoactivation du système d’attachement
Deux types de comportements du caregiver favorisent la formation d’un attachement insécure :
- le parent est anxieux et trop intrusif et son comportement va “hyperactiver” le système d’attachement du bébé : celui-ci développe de l’anxiété, des doutes, se sent régulièrement débordé par ses émotions
- le parent est physiquement et/ou émotionnellement absent, néglige ou abuse l’enfant, ce qui va “hypoactiver” le système d’attachement du bébé : dans ce cas, face à la maltraitance répétée ou à une sorte de désert émotionnel, l’enfant se met “en veille” et ne ressent plus rien.
Le premier cas favorise la mise en place d’un attachement ambivalent et le second d’un attachement évitant. On parle d’attachement désorganisé lorsque l’enfant n’a pas de stratégie relationnelle stable et passe d’un type insécure à l’autre.
On observe des dysrégulation importantes dans l’accordage du caregiver, qui :
- ne semble pas réagir lorsque le bébé exprime de la détresse
- ne cherche pas à satisfaire les besoins du bébé (faim, sommeil, changement de couche…)
- engage peu de contact visuel et de sourires avec le bébé
- a des comportements intrusifs, contrôle les besoins physiologiques du bébé
- est instable, imprévisible
- est débordé par des émotions trop intenses, sans en protéger le bébé (colère, rage, détresse)
Comment se manifeste un trouble de l’attachement chez l’enfant ?
Dans les grandes lignes, les troubles de l’attachement prennent leur source dans un manque de synchronisation dans les relations précoces et ont des conséquences sur le développement de l’enfant :
- un manque de confiance : l’environnement familial dans lequel grandit le bébé ou l’enfant est carencé, les adultes ne sont pas fiables dans leurs réponses à ses besoins. Ce sentiment d’insécurité intrafamilial va s’étendre au monde extérieur notamment à travers la difficulté de l’enfant à faire confiance.
Ce manque de confiance est associé à l’hyperactivation et/ou à l’hypoactivation du système d’attachement évoqué plus haut, qui se traduisent respectivement par :- des difficultés à réguler les émotions : agressivité, crises de rage, colère ou débordement d’anxiété, difficiles à calmer.
- un (trop) calme apparent : des enfants trop sages voire inhibés, matures et responsables pour leur âge peuvent aussi cacher une anxiété réprimée. Cette apparente autonomie – souvent valorisée et renforcée par la société – vient souvent masquer le sentiment qu’ils n’ont pas le droit d’exprimer d’émotions. Faisant preuve de beaucoup de maîtrise émotionnelle, le niveau de cortisol en situation de stress s’avère cependant très élevé.
L’un de ces états peut être dominant dans le fonctionnement de l’enfant, ou bien les deux peuvent s’alterner en fonction des circonstances. Ces types d’activation persisteront à l’âge adulte.
Les signes à observer chez le bébé ou l’enfant sont parmi les suivants :
- dans les moments de détresse, le bébé ne se tourne pas vers son caregiver
- a des difficultés sévères pour s’alimenter, maux de ventres chroniques
- a du mal à prendre du poids
- n’aime pas être touché ou réconforté
- ne sourit pas ou ne répond pas aux sollicitations d’un adulte
- ne manifeste pas d’affection pour son caregiver
- contre toute attente, ne montre pas de signe de détresse dans des situations habituellement stressantes (séparation, procédure médicale…)
- a un comportement défiant ou anxieux
- n’interagit et ne joue pas avec les autres
- a des comportements agressifs envers les autres, enfants ou adultes
- est en retrait et n’interagit pas avec les autres
- est anxieux, effrayé, déprimé
- ne parvient pas à maîtriser ses crises de rage, sa colère
Ou bien, vis à vis de personnes non familères :
- absence de réticence à approcher et interagir
- fait des câlins, emploie un langage trop familier avec des personnes peu familières
- n’a pas conscience du danger
Du Trouble de l’attachement au Trauma complexe
Ces dernières années, des chercheurs en neurosciences ont montré l’impact des négligences et des abus sur les enfants et en particulier les conséquences de l’exposition au stress chronique. Dans la deuxième année de vie du bébé, le cerveau atteint sa première étape de maturation : toutes les expériences d’attachement sont alors enregistrées dans l’hémisphère droit, dans la mémoire implicite – Cet hémisphère droit a davantage de relations avec le corps, avec le Système Nerveux Autonome et avec l’hypothalamus qui commande le système de stress dans le corps. Son développement dépend essentiellement de la capacité du caregiver à réguler les affects négatifs du bébé et encourager les affects positifs (A. Schore, 2016). Ainsi, lorsque l’attachement est insécure, l’hémisphère droit manque de maturation et n’atteint pas le niveau de complexité dont on a besoin pour évoluer en société de façon optimale. Par conséquent, ce bébé devenu adulte va réagir au stress, mener ses interactions sociales et supporter ses émotions d’une façon largement influencée par les expériences précoces.
Un enfant qui subit de la négligence ou des abus développe très tôt un mode de fonctionnement dirigé par la menace, la peur et la survie. Cette insécurité amène à de la confusion et à un besoin vital (et physiologique) de scanner l’environnement en permanence face à d’éventuelles menaces. Faisant face à ce stress insoutenable, une division en compartiments s’opère entre les parties du Moi qui fonctionnent correctement dans la vie quotidienne et d’autres parties qui continuent de porter la peur, la colère, la honte : c’est ce qu’on appelle la dissociation. La dissociation et un mécanisme de défense par le quel le sujet idéalise son passé et/ ou minimise ou justifie les sévices, la froideur, les négligences subies. Les comportements addictifs sont aussi des stratégies qui visent à ne pas ressentir la peine et la souffrance. Voici quelques exemples de la façon dont ça se présente :
- “Mes parents me battaient et franchement je le méritais”
- “J’ai subi des attouchements mais on ne va pas en faire toute une histoire”
- “Quand je me drogue / je bois / je prends des médicaments, je ne sens plus rien et ça fait du bien”
- “Je n’ai pas tellement envie de savoir ce qui s’est passé”
- “J”ai eu de la chance de pouvoir m’élever toute seule”
Ainsi, nous voyons que des traumas dans la relation d’attachement amènent à un sentiment d’insécurité interne, voire à une profonde désorganisation du sujet lorsque les sévices sont graves, chroniques et sans réparation. Des thérapies non exclusivement basées sur le langage et la compréhension et davantage axées sur l’hémisphère droit et la mémoire implicite sont à envisager pour soigner les troubles de l’attachement, le trauma complexe et la dissociation.
Sur ce sujet :
Allan SCHORE, “Affect dysregulation and disorders of the Self” (2003)
John BOWLBY, “Attachement et perte”
Beatrice BEEBE & Frank LACHMANN, “The origins of Attachment : Infant research and Adult treatment”
Style d’attachement et parentalité
Laetitia Bluteau | laetitiabluteau.fr