
Guérir d’une vie traumatisée est un chemin long et complexe.
Beaucoup de personnes arrivent en thérapie en souhaitant “tourner la page », “oublier” ou à se débarrasser de symptômes invalidants le plus vite possible… et le thérapeute peut se sentir piégé dans cette urgence à trouver un remède miracle à tant de souffrance.
Dans le contexte du psychotrauma, nous ne sommes pas dans une situation « compliquée » (qui équivaut à trouver une solution à un problème) mais nous faisons face à un « système complexe » qui s’est enchevêtré depuis le tout début de la vie, éclabousse et trouve des redondances dans mille situations du quotidien ainsi que dans des symptômes physiques et relationnels.
La guérison passe par 1) la capacité à ressentir ce qui est advenu / ou la souffrance de ce qui a tant manqué 2) ne pas être submergé.e par ce ressenti 3) sentir au plus profond de soi que c’est terminé. Arriver à ce stade de guérison nécessite du travail et du temps. Grâce aux thérapies trauma-informées telles que le LI-ICV, l’EMDR, la Somatic Experiencing ou la thérapie sensorimotrice, c’est aujourd’hui tout à fait atteignable.
L’objectif de la thérapie ne peut donc pas reposer sur le fait de résoudre un problème. Il s’agit plutôt de développer un processus plus profond et plus lent : le développement de la capacité d’intégration.
Ce concept désigne la faculté du corps et de l’esprit à relier ce qui a été fragmenté par les expériences traumatiques répétées. C’est cette intégration progressive qui permet, avec le temps, de retrouver unité, sécurité intérieure et vitalité.
Qu’est-ce que la capacité d’intégration ?
Un traumatisme ne se résume pas à l’événement effrayant en tant que tel.
Ce qui le rend traumatique, c’est le fait que notre système nerveux n’a pas pu le traiter sur le moment. Si c’est une notion nouvelle pour vous, allez voir à ce sujet Le trauma est dans le système nerveux, pas dans l’événement.
Trop d’intensité, trop de peur, trop d’impuissance – étant dans l’incapacité d’utiliser son système de défense mobile (Fight or Flight) le corps se fige, la psyché se scinde, et certaines parts de l’expérience restent bloquées. Ce gel intérieur crée une dissociation :
l’intégration, c’est justement le processus par lequel ces morceaux d’expérience reprennent contact et cohérence.
La capacité d’intégration est une compétence psychique et corporelle qui nous permet de ressentir nos émotions sans être submergés, de donner du sens à ce que nous vivons, de relier nos sensations, nos pensées et nos souvenirs, et de rester connectés à nous-mêmes, même dans la douleur.
Elle n’est pas innée : elle se construit progressivement, à mesure que notre système nerveux retrouve sécurité et régulation. Cette capacité devient le contenant grâce auquel il va être possible d’entrer progressivement en contact avec des couches toujours plus profondes de souffrances enfouies.
Dans le processus de guérison du traumatisme, cette capacité se déploie à travers trois grandes phases qui se soutiennent mutuellement.
La première, celle de stabilisation, vise à rétablir un sentiment de sécurité interne et externe, à apaiser le système nerveux et à renforcer les ressources du patient.
La deuxième, celle d’exposition, permet de revisiter progressivement les fragments de l’expérience traumatique, avec suffisamment de soutien pour que la mémoire puisse être “digérée” sans submersion.
Enfin vient la phase d’intégration, où les éléments du vécu peuvent être reliés, symbolisés et intégrés dans une histoire de soi cohérente.
L’intégration : un processus lent, graduel et non linéaire
J’ai l’habitude de comparer la capacité d’intégration à notre capacité à digérer ce que la vie nous fait vivre. De la même manière qu’il serait impossible et même dangereux de manger tous nos repas du mois en une seule fois, il est impossible d’“assimiler” toute la charge émotionnelle d’un traumatisme d’un seul coup.
Notre système nerveux, comme notre système digestif, a besoin de rythme, de pauses et de portions adaptées à ce qu’il peut traiter à un instant donné.
Quand l’événement est trop intense, trop soudain, il reste en quelque sorte “indigeste” : les émotions, les sensations et les images ne peuvent pas être transformées en expérience intégrée.
Le travail thérapeutique consiste alors à reprendre ces morceaux non digérés, doucement, dans un environnement sûr, pour permettre au psychisme de les métaboliser à son propre rythme.
La relation thérapeutique joue un rôle fondamental dans ce processus.
Un cadre bienveillant, sécurisant et régulier permet à la personne de revisiter progressivement les fragments de son expérience traumatique.
Dans ma pratique, c’est avec la thérapie LI (Lifespan Integration, ou ICV) que j’accompagne à cette intégration psychocorporelle.
On ne cherchent pas à “réparer” la personne, mais à lui redonner accès à ses propres ressources d’autorégulation et de cohérence.
Cultiver l’intégration au quotidien
L’intégration se nourrit aussi des pratiques du quotidien :
- la pleine conscience, pour observer sans juger ;
- le mouvement corporel (yoga, danse, respiration consciente), pour rétablir le lien corps-esprit ;
- la créativité (écriture, art, musique), pour symboliser l’indicible ;
- les relations soutenantes, qui réparent le sentiment de sécurité et d’appartenance.
Pratiqués régulièrement, ces gestes simples renforcent la régulation du système nerveux et soutiennent la capacité du corps à guérir.
